L’infiltration des eaux usées traitées
L’arrêté « prescriptions techniques » du 7 septembre 2009 fixe les critères de rejet des eaux usées traitées par les dispositifs d’assainissement non collectif (ANC) au niveau d’un traitement secondaire (30 mg/L en MES et 35 mg/L pour la DBO5), sans exigence concernant leur qualité microbiologique. Deux études réalisées en France en conditions in situ au cours des 10 dernières années[1][2], indiquent bien la présence de microorganismes pathogènes dans les eaux usées traitées provenant de différents dispositifs d’ANC avec des valeurs médianes de l’ordre de 4 et 3 log UFC /100 mL pour les E. coli et les entérocoques, respectivement. De plus, selon la référence[1], le 80ème percentile des valeurs mesurées atteint 5,2 et 4,6 log UFC/100 mL pour ces deux paramètres. Ces constats justifient pleinement la priorité donnée par l’arrêté de septembre 2009 à l’infiltration dans le sol de ces eaux usées traitées, pour des questions de salubrité publique, de qualité du milieu récepteur et de sécurité des personnes.
Les eaux usées traitées doivent, en effet, être évacuées selon les règles de l’art, par le sol en place sur la parcelle de l’habitation, afin d’assurer la permanence de l’infiltration lorsque la perméabilité des sols est comprise entre 10 et 500 mm/h. Alternativement, on peut réutiliser ces eaux pour l’irrigation souterraine de végétaux non comestibles, sous réserve d’absence de stagnation d’eau en surface. Dans le cas où les sols ne permettent pas l’infiltration, il y a possibilité de rejeter les eaux usées traitées vers le milieu hydraulique superficiel. Cette option de dernier recours doit cependant être pleinement justifiée et autorisée.
Malgré la priorité accordée à l’infiltration des eaux usées traitées par les dispositifs d’ANC en France, il n’y a pas de règles précises établies pour le dimensionnement de ces zones d’infiltration en fonction des contraintes de site et de la qualité des rejets. Seule la norme NF DTU 64.1 établit les longueurs de tranchées requises pour l’épandage d’eaux usées prétraitées en fonction de la perméabilité des sols.
Bien des efforts ont pourtant été investis au cours des dernières années pour établir une norme sur l’infiltration, mais il a été difficile d’atteindre un consensus. Il en résulte notamment un fascicule de documentation FD P16 007 qui permet d’aider les concepteurs, mais qui ne prescrit pas de critères précis pour le dimensionnement de ces ouvrages d’infiltration. Les difficultés rencontrées sont de différentes natures, mais le manque de données probantes en territoire français s’est avéré être un élément important. L’utilisation de références nord-américaines bien établies a souffert d’un problème d’adaptation en raison de différences substantielles de contexte. En fait, au Canada et aux États-Unis, la très grande majorité des habitations qui sont desservies par un dispositif d’ANC, sont approvisionnées en eau potable par un puits localisé sur la même parcelle. Dans ce contexte, en raison de ces enjeux liés à la qualité des eaux de consommation, les critères de dimensionnement des infiltrations d’eaux usées traitées préconisés sont très contraignants. Dans certains Etats ou provinces, des réductions des surfaces et des distances sont acceptées, mais elles sont supportées par des exigences de qualité des eaux usées traitées plus grandes (ex. : 15 mg/L en MES et DBO5 et 50 000 UFC/100 mL pour les coliformes fécaux exigés au Québec). En France, la situation est toute autre, avec près de 97% de la population desservie par un dispositif d’ANC qui est approvisionnée par un réseau public d’adduction d’eau[3]. Pour les 3% restant, la distance à respecter entre une infiltration et un captage d’eau destiné à la consommation est de 35 m. En l’absence de consommation d’eau de captage, il est justifié d’envisager une réduction des surfaces requises pour l’infiltration des eaux usées traitées. Ce qui est aussi essentiel pour s’adapter à la taille de plus en plus réduite des parcelles[4].
Les principes fondamentaux selon le type de sol et la sensibilité du milieu récepteur
L’infiltration des eaux usées traitées dans un sol naturel nécessite une investigation appropriée pour choisir une solution technique adaptée aux conditions du site et qui en assurera la pérennité. Ces investigations servent à déterminer l’aptitude du sol à l’infiltration en fonction des caractéristiques du sol et de la parcelle.
Les caractéristiques du site sont évaluées lors d’une visite de reconnaissance permettant de prendre en compte le contexte de celui-ci pour réaliser une infiltration, dont principalement : les limites de propriété et l’accessibilité du site, le respect d’une distance de 5 m par rapport aux fondations du bâti présentes sur le site pour éviter la déstabilisation de celles-ci par saturation du sol ou gonflement des argiles, la présence de zones humides, de cours d’eau, de nappe affleurante et de puits, la prise en compte du relief (pentes) pour éviter toutes zones en bas de talus ou en forte pente ainsi que le ruissellement des eaux de pluie qui ne doit pas se diriger vers la zone d’infiltration projetée.
Sur base de ces critères et des espaces disponibles, si une zone d’infiltration potentielle est identifiée, il est nécessaire de procéder à l’évaluation des caractéristiques du sol pour déterminer son aptitude à une infiltration pérenne des eaux usées traitées en réalisant, tout d’abord, des sondages (1 à 3) dans la zone projetée. Ces sondages, à la tarière ou à la tractopelle, permettront :
- de déterminer la stratification du sol en précisant les caractéristiques dimensionnelles des principales couches (épaisseur et profondeur), leur structure (compacte, particulaire ou fragmentaire) et leur texture (argile, limon et sable), ce qui permet de classifier ces couches de sol en fonction de leur aptitude à l’infiltration. Si la roche mère se situe à faible profondeur, il est aussi important d’évaluer ses propriétés (altération, fissuration, etc.) ;
- d’évaluer le niveau de la nappe haute, généralement constaté par la coloration du sol, afin de déterminer la profondeur de sol non-saturé apte à l’infiltration. Une hauteur comprise entre 30 et 60 cm permet d’éviter la saturation potentielle de la zone d’infiltration par la remontée de la nappe au droit de celle-ci ;
- de déterminer la perméabilité de la couche de sol insaturé retenue en fonction de la profondeur prévue du dispositif d’infiltration. La mesure est réalisée par la méthode de Porchet à niveau constant, permettant de déterminer le coefficient de perméabilité saturée (K), exprimé en mm/h. Cette méthode est à la base de l’établissement des règles de dimensionnement des épandages des eaux usées prétraitées.
Bien que la perméabilité du sol soit généralement le seul critère utilisé dans les règlementations pour classifier les différents sols naturels, l’hétérogénéité de ces sols et les caractéristiques spécifiques de chacun des sites nécessitent que le concepteur réalise une analyse croisée de la perméabilité mesurée en fonction des autres paramètres de caractérisation du sol et du site. Ceci permet de déterminer l’aptitude du sol à l’infiltration à la base du dimensionnement de l’ouvrage et son positionnement sur le site.
Le dimensionnement
Tel que mentionné précédemment, seules les longueurs des tranchées d’épandage d’eaux usées prétraitées, en sortie de fosse toutes-eaux, sont référencées dans la norme NF DTU 64.1 pour différentes perméabilités de sol. Pour les eaux usées traitées, peu de données existent, à part les travaux de LAAK[5][6]. L’équation proposée par LAAK permet de calculer la réduction de la surface d’infiltration par rapport à celle appliquée pour un effluent de fosse toutes eaux (surface FTE), en fonction de la qualité des eaux usées exprimée en concentrations de MES et de la DBO5 :
Sur la base de ce modèle, des surfaces d’infiltration pour différentes qualités d’eaux usées traitées ont été proposées[7]. Par exemple, pour un sol ayant une perméabilité de 20 mm/h et un effluent de 30 mg/L en MES et de 35 mg/L en DBO5, la surface d’infiltration serait réduite à 60% de la surface d’épandage d’un effluent de FTE (soit 4,8 m2/EH). Pour des eaux usées traitées concentrées à 10 mg/L en MES et DBO5, la surface d’infiltration serait réduite à 40% de la surface d’épandage (soit 3,2 m2/EH). Toutefois, des travaux expérimentaux du CSTB[8] réalisés avec des eaux usées de qualité secondaire, ont montré que l’approche précédente, appliquée à des sols ayant une perméabilité comprise entre 10 et 20 mm/h, surestimait les taux d’application, ce qui pourrait nuire à une utilisation pérenne de la surface. Les forces ioniques des eaux usées traitées sur la composante argileuse des sols à plus faible perméabilité viennent réduire la capacité d’infiltration de ces sols.
Bien que la qualité attendue des eaux usées traitées permette de réduire les surfaces d’infiltration, d’autres facteurs peuvent aussi avoir un impact important sur la durée de vie d’un dispositif d’infiltration. Les dispositifs d’assainissement agréés satisfont, sur la base d’essais sur plateforme, l’exigence réglementaire de 30 mg/L en MES et de 35 mg/L en DBO5. Toutefois, des fluctuations importantes de la qualité des eaux usées traitées sont observées en conditions in situ, tel que démontrées par différents suivis réalisés en conditions réelles[9]. Les études citées montrent que des fluctuations importantes de la qualité des eaux usées rejetées, souvent non conformes aux exigences réglementaires, sont observées pour les microstations, particulièrement celles à cultures libres. Ces variations de qualité, associées à des relargages de boues (MES) à la sortie des systèmes, sont liées à de nombreux facteurs dont principalement la conception même de certains dispositifs (volume insuffisant de stockage de boues, configuration et volume des décanteurs) et à des déficits d’entretien (soutirage des boues). Dans ces conditions, le risque de colmatage prématuré des surfaces d’infiltration, avec résurgence en surface d’eaux usées contaminées, est bien réel et nécessite une attention particulière des concepteurs liée à la qualité in situ des eaux usées traitées[10]. Les résultats des études précitées démontrent également la plus grande stabilité des performances des systèmes basés sur des filtres biologiques, en raison de la barrière physique associée à la présence d’un milieu filtrant. Toutefois, pour assurer une performance durable dans le temps, ces filtres doivent être conçus en respectant les critères fondamentaux de conception, dont la taille minimale du lit filtrant (surface de 0,5 m2/EH, hauteur de 50 cm) sans possibilité de court-circuit direct, le drainage et l’aération efficaces, combinés à un entretien régulier[11]. Les filtres qui ne respectent pas ces principes de conception pourraient souffrir d’un colmatage prématuré ayant des impacts sur les performances épuratoires et sur les possibilités de court-circuitage du lit filtrant.
Considérant tous ces éléments et les indications fournies dans le Guide technique du CSTB[12] ainsi que dans la fiche d’information sur l’infiltration des eaux usées traitées pour les installations jusqu’à 20 EH[10], les surfaces d’infiltration présentées au tableau 1 sont recommandées en fonction des conditions du site, de la perméabilité du sol récepteur et du type de filière préconisé, le tout en présence d’une couche de sol non saturé d’au moins 30 à 60 cm sous l’infiltration.
Tableau 1 : Surfaces d’infiltration recommandées vs perméabilité du sol et type de dispositif
K (mm/h) / dominante du sol |
Techniques courantes Surface (m2/EH) |
Techniques non courantes Surface (m2/EH) |
10 à 20 / sols argileux-limoneux | 5,6 à 7,0 | 8 à 10 |
20 à 30 / sol à dominante limoneuse | 3,0 à 3,6 | 5 à 6 |
30 à 50 / sol à dominante limoneuse | 2,0 à 2,4 | 5 à 6 |
50 à 200 / sols limoneux sableux | 1,8 à 2,4 | 3 à 4 |
200 à 500 / sols sableux | 1,8 à 2,4 | 3 à 4 |
* Après validation de la qualité in situ des eaux usées traitées durant au moins 3 ans.
Tel que présenté au tableau précédent, les variations de surface d’infiltration sont importantes pour les différents types de sol et de filières. De ce fait, les solutions à dimensionnement unique pour tous les types de sol et très compactes, de type chambres d’infiltration préfabriquées ou tuyaux surdimensionnés entourés de géotextile, sont à considérer avec beaucoup de précautions pour éviter le colmatage prématuré de la zone d’infiltration. La préconisation de ces dispositifs, le plus souvent issus des techniques de gestion des eaux pluviales, repose généralement sur la prise en compte de volumes de stockage, en raison des pointes hydrauliques importantes. Considérant la qualité des eaux usées traitées à infiltrer et les régimes hydrauliques très différents du pluvial, la pérennité de ce type de dispositifs n’a pas été démontrée pour leur application en ANC. D’ailleurs, aucun guide de conception reconnu par une tierce partie ni d’avis technique n’existe à ce jour pour ces approches.
[1] FALIPOU (E.) et BOUTIN (C.) – Analyse statistique de la qualité bactériologique des rejets d’ANC. Hal-02914302, (2020).
[2] VIGNOLES (C.) – Étude des performances in situ de petites installations d’assainissement dans le département du Tarn. Publication privée, (2013).
[3] Panorama des services et de leur performance en 2013. Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, Eau France, septembre 2016.
[4] Le prix des terrains à bâtir en 2016. Commissariat général au développement durable, Ministère de la transition écologique et solidaire, Octobre 2017.
[5] LAAK (R.). – Influence of domestic wastewater pretreatment on soil clogging. Journal of water pollution control federation, vol. 42, n° 8, Part I (1970).
[6] LAAK (R.). – Rational basis for septic tank system design. Ground water, vol. 22, n° 6 (1974).
[7] LESAVRE (J.). – Infiltration des eaux épurées. Séminaire assainissement des eaux usées domestiques. DRASS-CNFPT, La Réunion (Octobre 2009).
[8] LAKEL (A.). – Infiltration des eaux usées traitées : État de la technique. Carrefour des gestions durables de l’eau, Dijon (23 et 24 novembre 2022).
[9] LACASSE (R.), MAUNOIR (S.), GILBERT (Y.), FAVRE (C.) et TROADEC (C.). – Filières compactes d’assainissement non collectif : Conception pour un ANC durable. Techniques de l’ingénieur Ref : W6601V2. (10 août 2024).
[10] CSTB. – Commentaire technique n° 2 au cahier de l’ouvrage ANC : information sur l’infiltration des eaux usées traitées – installations ≤ 20 EH. Validé par le comité du cahier de l’ouvrage (23 décembre 2022).
[11] Premier Tech Eau et Environnement – Les 5 principes fondamentaux d’un filtre compact qui dure, https://www.premiertechaqua.com/fr-fr/parole-dexperts/5-principes-fondamentaux-filtre-compact-qui-dure.
[12] CSTB. – Cahier de l’ouvrage destiné à l’assainissement non collectif des immeubles d’habitation allant jusqu’à 20 pièces principales Partie I : Modalités de conception d’ouvrages pérennes sous l’angle de la stabilité de leurs structures et de la robustesse dans leurs fonctionnements. Guide technique du CSTB (octobre 2022).
Besoin de plus d'information ?
Contactez-nous pour obtenir plus d'informations sur nos systèmes d'assainissement non-collectif.